Près de 14 ans avoir après clarifié l’interprétation et l’application du devoir de loyauté dans la décision phare Concentrés scientifiques Bélisle[1], la Cour d’appel, encore une fois sous la plume de l’Honorable Marie-France Bich, se penche désormais sur le devoir de loyauté d’un salarié qui s’apprêtait à quitter son poste et de faire compétition à son employeur.[2]
Contexte
Lotfi Sahlaoui était orthésiste-prothésiste chez Médicus pendant environ 10 ans. Dans le cadre de son métier, le salarié effectuait sa prestation de travail trois fois par semaine à l’hôpital Notre-Dame de Montréal.
Grâce à la qualité de ses services et des liens qu’il s’était tissé avec les chirurgiens orthopédistes, le salarié rencontrait les patients qui lui étaient référés par ses derniers.
Alors que le salarié est toujours à l’emploi de Médicus, il entreprend des démarches en vue démarrer une entreprise qui fera concurrence à son employeur.
Il procède notamment à la constitution d’une société par actions, la signature d’un bail et d’une convention unanime des actionnaires.
Après son départ de Médicus, le salarié rencontre certains orthopédistes et d’autres membres de l’hôpital qu’il côtoyait précédemment pour leur aviser de son changement d’emploi et pour les inviter à faire affaire avec lui.
Les orthopédistes de Notre-Dame décident par la suite de faire un concours pour choisir un fournisseur privilégié d’orthèses/prothèses entre Médicus, la nouvelle entreprise du salarié et une partie tierce.
L’entreprise du salarié, Evo Orthopédie Technique inc., remporte le concours et obtient du coup un important bassin de clients, alors que les ventes de Médicus diminuent de façon importante.
Médicus entreprend une demande en justice à l’encontre de son ex-salarié et de son entreprise, reprochant à monsieur Sahlaoui d’avoir manqué à son devoir de loyauté.
Jugement de 1e instance
Sous la plume de l’Honorable Kear-Jodoin, la Cour supérieure donne raison à Médicus.[3]
De l’avis du tribunal, l’ex-salarié aurait contrevenu à son devoir de loyauté envers Médicus durant son emploi et suivant son départ. La juge considérait que les démarches entreprises par l’ex-salarié alors qu’il était toujours à l’emploi de Médicus pour faire concurrence à cette dernière ainsi que ses tentatives de solliciter les médecins du CHUM à faire affaire avec lui en usant de ses relations privilégiées étaient inacceptables.
La Cour d’appel
La Cour d’appel, pour les motifs ci-dessous, accueille l’appel et conclut que l’ex-salarié n’avait pas manqué à son devoir de loyauté pendant son emploi ou suivant sa démission.
Obligation de loyauté contractuelle du salarié envers l’employeur
D’entrée de jeu, la Cour passe en revue les principes applicables à la loyauté contractuelle, citant au passage Concentrés scientifiques Bélisle inc.[4]
La Cour précise que le fait pour un salarié d’entreprendre des préparatifs en vue de se trouver un nouvel emploi alors que celui-ci est présentement à l’emploi de celui qu’il entend quitter n’est pas en soi un manquement à un devoir de loyauté, pourvu que les préparatifs entrepris ne soient pas effectués sur son temps de travail ou en usant de ressources que l’employeur a mis à la disposition du salarié.
De plus, la Cour réitère à l’instar de plusieurs jugements antérieurs qu’un salarié n’est pas contraint de dévoiler son intention de démissionner ou ses démarches à son employeur.
En effet, il n’est pas inconcevable qu’un employeur, en apprenant que son employé s’apprête à quitter son emploi, soit pour un concurrent, pourrait faire l’objet de représailles. Ce déséquilibre de pouvoir entre un employeur et un salarié justifie la position de la Cour à cet égard.
Toutefois, il importe de mentionner que la Cour laisse ouverte la possibilité que ses enseignements pourraient différer dans le cas de hauts dirigeants d’une entreprise. Ceux-ci pourraient, en raison de leurs responsabilités, connexité et implication dans les prises de décisions, être assujettis à un devoir de loyauté plus exigeant.
Obligation de loyauté post-contractuelle du salarié envers l’employeur
La Cour d’appel, citant Concentrés scientifiques Bélisle, rappelle que le volet post-contractuel du devoir de loyauté demeure pendant une durée raisonnable. La durée raisonnable dépend des circonstances propres à chaque affaire, mais n’excédera généralement pas trois ou quatre mois.
De plus, le devoir de loyauté post-contractuelle n’impose pas les mêmes obligations auxquelles sont assujettis les salariés toujours à l’emploi. Ce devoir n’impose pas aux salariés des obligations comparables à des clauses de non-concurrence ou de non-sollicitation.
Un ex-salarié peut concurrencer son ancien employeur et même vigoureusement solliciter ses clients, sous réserve de clauses restrictives dans le contrat de travail et du respect de la bonne foi.
Conclusion
Tel qu’énoncé précédemment, la Cour d’Appel renverse le jugement de première instance et conclut que le salarié n’avait pas enfreint son devoir de loyauté.
[1] Concentrés scientifiques Bélisle inc. c. Lyrco Nutrition inc., 2007 QCCA 676
[2] Sahlaoui c. 2330-2029 Québec inc. (Médicus), 2021 QCCA 1310
[3] 2330-2029 Québec inc. (Médicus) c. EVO Orthopédie technique inc., 2019 QCCS 4124
[4] Concentrés scientifiques Bélisle inc.